Rasha OMRAN,  « Celle qui habite nos esprits… »

Dans le cadre du 9ème Festival du Centre-Ville sur les Arts contemporains (D-CAF) mercredi 20 et jeudi 21 octobre, au théâtre Rawabet, deux représentations uniques ont eu lieu de « Celle qui habitait la maison avant moi » de Rasha Omran, auteure syrienne en exil au Caire.[1]

          Pour faire enter le public dans le texte, le metteur en scène plonge la salle dans le noir et dans le silence durant plusieurs minutes. Le temps paraît long mais c’est un sas nécessaire pour recevoir des sons particuliers qui accompagnent les mots, et rien que les mots de ces poèmes syriens. C’est ainsi qu’une voix douce et posée récite des vers en arabe classique dont on peut saisir et ressentir la mélodie envoûtante et rythmée, même si on ne comprend pas la langue. Puis, toujours dans l’obscurité, une autre voix prend le relais et récite les mêmes vers, en français, tout aussi lentement et de façon articulée:

« Chaque fois que j’essaye d’écrire sur l’amour, l’autre femme tend la main et

m’arrache les doigts du clavier

La femme sauvage

L’ensauvagée

Qui me ressemble. »[2]

          Ensuite la troisième voix se fait plus présente, une voix réellement polyphonique, c’est-à-dire capable d’émettre plusieurs sons différents, simultanément, soutenus ou syncopés, brefs ou prolongés. Décontenancés, les spectateurs sont alors prêts à franchir le seuil de ce lieu inconnu évoqué par les voix et à entrer dans une méditation autour d’une rencontre impossible entre deux femmes, « celle qui habitait la maison avant moi » et la nouvelle habitante. La lumière apparaît alors sur la scène et augmente petit à petit, filtrée à travers des jeux de reflets de miroirs et révélant la présence de trois femmes habillées de noir, debout face au public.

          Durant une heure, les spectateurs vivent dans cet appartement insolite, tantôt inquiétant et provoquant des moments d’angoisse et de frayeur lorsque la femme délaissée hante les lieux pour crier sa souffrance et sa colère, tantôt accueillant et se voulant consolant lorsqu’elle pleure sur sa tendresse perdue qui la maintient désormais dans une solitude douloureuse qu’elle ne supporte plus.

           Semblant apaisée, « celle qui habitait la maison avant moi » émet alors des sons plus doux voire joyeux, entraînant avec elle les deux autres voix qui se mêlent avant de conclure cette méditation poétique dans une relative sérénité. La lumière peut diminuer puis disparaître et replonger la salle dans le noir accompagné de quelques sons, comme un livre qui se referme et une bougie qui s’éteint en laissant son odeur pour marquer sa présence.

          Après le spectacle, quelques phrases vous hantent, quelques mots arabes vous reviennent, quelques cris aussi. On ne quitte pas cette maison si facilement. C’est bien là toute la finesse et la puissance douce des textes de Rasha Omran, une femme qui hante nos esprits.

Corine Rochesson


[1] Rasha OMRAN, poétesse exilée politique syrienne, qui vit au Caire depuis 2012 et habite en centre-ville dans un appartement longtemps délaissé avant son arrivée et qui lui a inspiré 85 poèmes. Rassemblés dans un recueil intitulé « Celle qui habitait la maison avant moi » traduit en français par Mireille MIKHAIL et Henri-Jules JULIEN, ils ont été mis en scène par ce dernier et interprétés en arabe par Rasha Omran elle-même et pour la première fois sur les planches, en français par Nora Mohamed, comédienne syrienne, et par Isabelle Duthoit pour la partie vocale.

[2] Le texte est publié dans la revue « L’Ours Blanc » N°29, aux éditions Héros-Limite, du 14 mai 2021.

Poème mis en scène au Rawabet art space, espace culturel proposant spectacles et expositions. En savoir plus : https://www.facebook.com/RawabetArtSpace/

Rue Hussein Basha Al Meamari, Marouf, Qasr El Nil, Le Caire